#Màj 11-Jun-2021 création du doc. 13-Jun-2021 Plus de texte :o 03-Oct-2021 Corrections diverses. #Le champ aux étoiles.   À chaque début de soirée, à l'est de la grande cité, par dessus la montagne nous surplombant, nous voyons les étoiles, constellation par constellation, s'allumer. On pouvait distinguer les constellations plus neuves aux plus anciennes par la couleur de leurs scintillements. Par exemple, pour les 250 ans de notre ville, le maire fit installer une nouvelle constellation au champs aux étoiles : la constellation du Lion qui se distingue par sa couleur blanche-bleuâtre, plus neuve que les autres. Au contraire, les premières étoiles, installées en 1835 et maintenant presque toutes grillées, sont d'un jaune-orangeâtre incandescent très faible comparées aux autres constellations. Ces étoiles étaient chéries et contemplées par tous les habitants de la ville. Elles vennaient enjoliver et repérer un ciel normalement profondément vide, déboussolant, voir oppressant.   Mais cette soirée, je ne regarderai pas le ciel étinceler au loin. Bien que l'administration ne précisait pas la localisation exacte du champ pour persuader toutes formes de vandalisme, j'ai eu contact avec mon grand oncle qui avait lui-même travaillé, il y a déjà cinquantes années, dans l'installation d'étoile et m'avait donc précisé quels étaient les hectares à parcourir pour m'y rendre. Alors, tandis que le soleil se couchait au loin derrière la montagne, je descendais de ma voiture ; la route se finissait ici. Je sorti mon vélo du coffre, mit mon sac sur mes deux épaules et prit mon envol sans attendre. Pendant que je pédalais, la nuit se levait, et je vis les étoiles s'allumer plus haut que d'habitude, m'indiquant que j'étais bien dans la bonne direction.   Près d'une heure plus tard, les étoiles étaient par dessus ma tête. Je pu faire halte à mon effort. J'étegnis ma lampe de vélo, ne m'étant plus d'usage. Je vis le champ aux étoiles comme on me l'avait décrit : un plateau immense remplit de tiges noires, épaisses, sortant du sol et décollant vers le ciel, là où se trouvaient les lumières. Bien entendu, ici une étoile s'apparente à une sorte de lampadaire géant, où une large lampe était placée à des kilomètres par delà le sol, maintenue par un large poteau. D'ailleurs la conception d'une de celles-ci prenait généralement des mois, voir même des années pour certains modèles.   Je contemplais les étoiles de près. Au sol, une herbe sèche, empiétée pendant des années, qui laissait alors deviner un petit chemin. Ce sol était faiblement éclairé par la lumière produite des étoiles au dessus de moi et la laissait paraître d'une couleur dorée. Je déposa mon sac, mit mon téléphone dans ma poche, et déposa mes premiers pas sur le champ. À chaque pas, je pouvais entendre le craquement sec de l'herbe sous mes pieds, ou bien le bruit sourd et caoutchouceux d'une des gaines électriques qui jonchaient encore le sol.   Au bout de seulement quelques minutes, je n'était déjà plus capable de distinguer ma droite à ma gauche, ou le devant à l'arrière. J'étais entouré de poteaux immenses, tous d'un noir très mat et qui obscurcissaient l'horizon, me plongeant dans une fine forêt, presque lugubre, et partant du sol jusqu'à l'infini du ciel. Sur certains d'entre eux je pouvais lire des petits mots gravés : un "Je t'aime Ann-Lys, mais tu m'ignores" ou encore un "Killian fut ici. 30/09/1987" voir même un "STAR-1434 1988-10-09", un numéro de série bien calligraphié. Accompagnant le bruit redondant de mes pas, se distinguait un faible bruit de fond dans le champ. Le complexe électrique du lieu produisait alors un petit grésillement faible et monotone ; les étoiles fredonnaient.   Alors ici même, au milieu de ce discret chœur, je laissai glisser mon sac hors de mon épaule et le long de mon bras pour ensuite doucement le rattraper et le déposer au sol, puis, je m'assis. En étant aussi proche du sol, je ne distinguais plus le chemin, caché derrière la fine herbe jaune et dessous les quelques câbles traînant au sol. L'air était bon. L'odeur fraîche de la nuit venait se mêler au parfum de l'herbe presque desséchée et à la légère brume jaunie sous la lumière des étoiles. J'en pris une grande inspiration.   Mes yeux regardaient l'horizon zébré par les étoiles. Naturellement, ceux-ci commençaient à suivre leurs trajectoires qui s'élançaient hâtivement dans la profonde noirceur du ciel. Avant que je puisse m'en rendre compte, ma tête bascula, froissant l'herbe en dessous. Je dépliai mes jambes et étalai complètement l'entièreté de mon corps pour mieux sentir la lourdeur de la terre.   Maintenant que le sol était derrière moi, je pouvais embrasser le ciel. Je fus d'abord ébloui, mais après avoir laissé le temps à mes yeux de s'adapter, je pouvais contempler un spectacle nouveau : jamais sous cet angle j'avais pu voir et dénombrer les constellations, et d'ici, à seulement quelques kilomètres, je pouvais presque leur crier mon excitation.   Timidement, je redécouvrais une à une les constellations que je pensais connaître lorsqu'elles étaient précédemment figées dans le ciel, loin.   En me baladant là-haut, je discernai un plus vieux modèle dont la luminosité variait sporadiquement ; un appel à la discussion. Sans attendre, je me redressai péniblement pour fouiller dans mon sac et récupérer ma lunette. Et seulement après quelques réglages, je pris part à la conversation. Dans le diaphragme, je pouvais me rapprocher de la lampe pour mieux l'entendre. Elle était de la même forme que celle sur les photos de mes cours d'histoire en primaire ; c'était l'une des premières étoiles installées. À l'instant que j'eus compris de quel modèle il s'agissait, je sentis une excitation frémir jusqu'à mes doigts ; de voir quelque chose de si particulier, de mes propres yeux...   Elle vacillait entre un jaune faible et un rouge vermeil. Parfois sa lumière s'éteignait brutalement, laissant jaillir une gerbe d'étincelles, avant de se rallumer plus intensément quelques instant plus tard.   Et tandis que j'étais de plus en plus silencieux, attentif à ses précises déclarations, le murmure incessant des étoiles révélait leurs secrets les plus discrets : dans le bourdonnement électrique de fond, mon oreille saisissait des harmoniques plus aiguës, plus faibles et plus mélodieuses. C'était dans les détails, le presque invisible, où le chant le plus intime et élégiaque de ces étoiles se susurrait, presque pour vouloir me faire peur.      Cinq minutes après avoir observé à travers ma lunette la vieille lampe à incandescence éclater et se rallumer, celle-ci mit terme à la conversation en stabilisant son clignotement. Je lâchai ma lunette et mon regard revint dans les rayures confuses et vertiginieuses de l'horizon avec son vrombissement suave. Mes yeux balayaient les environs pour me resituer dans ce milieu. Deux fois, ma tête fit volte-face pour saisir l'ombre ayant bougé au coin de ma vue, prête à surprendre un câble se serpenter par lui-même autour d'un poteau. Mais rien de cela ne se fit, et je me levai au milieu de ce grand dédale.